Article paru dans « Réussir Bovins Viande » du 13 mars 2018
Race composite d’origine étatsunienne, la Stabiliser vient de faire son arrivée dans le Grand Est de la France. Les réactions sont contrastées. L’enthousiasme des uns est à la hauteur de l’agacement des autres.
Il n’existe pas de race allaitante spécifiquement issue du terroir Lorrain. Les choses pourraient évoluer dans les années à venir dans la mesure où des éleveurs de cette région — et plus largement du Grand Est de la France — entendent être les pionniers dans le développement de la Stabiliser. Une race bovine ou plus exactement une souche composite (voir encadré) initialement sélectionnée aux États-Unis puis adoptée par des éleveurs britanniques, lesquels l’estiment adaptée à la fois à leurs systèmes d’élevage et aux attentes des abatteurs d’Outre-Manche. Les 17 premières génisses Stabiliser arrivées en novembre dernier sur le sol français proviennent d’ailleurs d’un élevage britannique. Elles sont dans un premier temps destinées à être utilisées comme donneuses d’embryons et sont actuellement hébergées dans une stabulation d’Elitest, à Épinal, dans les Vosges.
Adapter la production à un marché en pleine mutation
L’arrivée de la Stabiliser dans l’Hexagone est à l’initiative de l’association Bovinext, laquelle a été constituée en avril 2017. Ses membres fondateurs sont la Chambre régionale d’agriculture Grand Est (Crage), la coopérative d’insémination Elitest et l’Association de productions animales de l’Est (Apal). Les responsables de Bovinext ont l’an dernier signé un accord avec la Stabiliser Cattle Company. Selon les termes de ce contrat, Bovinext bénéficie en France de l’exclusivité de son développement. Bovinext a donc pour premier objectif d’introduire, d’expérimenter et de développer le recours à ces animaux sur la région et plus largement sur le territoire national. Elle bénéficie pour cela d’un partenariat avec la Banque populaire.
D’après ses promoteurs, l’intérêt de la Stabiliser réside d’une part dans sa précocité sexuelle et ses qualités maternelles, lesquelles vont dans le sens une conduite d’élevage facile et d’un premier vêlage à deux ans. D’autre part, la forte proportion de sang Angus et Hereford dans ses origines offre la possibilité de produire avec des animaux abattus à moins de deux ans, des carcasses somme toute légères mais avec une viande déjà bien colorée et un bon niveau de persillé. Autant de caractéristiques qui vont dans le sens de la demande formulée par bien des restaurants, à la recherche de viande offrant des garanties côté couleur, tendreté et qualités organoleptiques sur des muscles piécés dont la dimension est en phase avec l’appétit et le pouvoir d’achat de leur clientèle. « La Stabiliser correspond à cette attente du marché compte tenu de sa précocité», explique Laurent Rouyer, président de Bovinext et membre du bureau de la Crage. Et d’ajouter que différents opérateurs de l’aval, et pas les moindre côté tonnages, suivent de près ce dossier. À signaler que les éleveurs laitiers actuellement engagés dans la démarche Herbopack initiée par Charal et EMC2 élevage peuvent utiliser des taureaux d’IA Stabiliser en croisement sur laitières pour produire les bouvillons et génisses légères correspondant à ce programme.
Échanges parfois très vifs
Sur le terrain, le moins qu’on puisse dire est que l’arrivée de la Stabiliser ne laisse pas indifférent. Elle fait même des vagues. « Il y a eu des réunions de présentation un peu houleuses l’an dernier. On va dire que les échanges ont parfois été très vifs, mais pour autant constructifs », reconnait Laurent Rouyer. « Notre démarche a beaucoup fait parler. Et d’ailleurs cela continue ! » ajoute Stéphane Peultier, président de l’Apal et vice-président de Bovinext.
L’argument des détracteurs du projet est de dire que la France possède déjà un patrimoine génétique diversifié, avec des animaux aux formats, aux morphologies et aux aptitudes complémentaires. Même si elles relèvent d’effectifs modestes, les races britanniques (Angus, Hereford, Highland) complètent l’offre hexagonale. Dans ces conditions, en quoi serait-il nécessaire d’aller chercher ailleurs ce que l’on a déjà chez nous ? Et d’autres éleveurs de s’interroger pour savoir s’il n’aurait pas été possible d’arriver à un résultat similaire pour moins cher en faisant évoluer la génétique française vers des formats plus modéré, quitte à faire un peu de croisement terminal avec des races anglo-saxonnes.
Les initiateurs de Bovinext se défendent d’avoir voulu introduire le loup dans la bergerie, mais reconnaissent vouloir mettre en place un autre modèle, assez différent des principales races à viande françaises où les objectifs de sélection ont longtemps accordé une place prioritaire à l’accroissement du format et du potentiel de croissance. Des orientations de sélection qui ont donné des résultats, mais point trop n’en faut pour autant. En allaitant, au moins une fraction du marché s’oriente vers des carcasses plus légères avec la volonté d’accorder un peu plus d’importance au persillé intramusculaire dans la mesure où le gras c’est aussi le goût ! « Il faut anticiper les marchés de demain. Quel type d’animaux sera demandé dans dix ou quinze ans ? On presse certaines évolutions avec une demande davantage orientée vers des animaux de format modéré qui peuvent être abattus plus jeunes et où une alimentation avant tout basée sur l’herbe pourra être mise en avant. Notre objectif est d’anticiper ces évolutions», ajoute Philippe Sibille, directeur d’Elitest. Et ce dernier de faire un parallèle avec le marché du lait. « Pendant des années les taureaux laitiers « modernes » étaient à + 2 en TP et -2 en TB. Vingt ans après on s’interroge pour savoir comment augmenter la matière grasse dans le lait ! » Et de préciser. « Notre intention est d’offrir une autre alternative. »
De gauche à droite : Laurent Rouyer, président de Bovinext et membre du bureau de la Crage ; Stéphane Peultier, président de l’Apal et vice-président de Bovinext ; Daniel Grémillet, sénateur et conseiller régional des Vosges. – © F. d’Alteroche
S’adapter aux évolutions des marchés
« Il faut s’adapter aux évolutions des marchés », insiste Daniel Gremillet, désormais sénateur et conseiller régional des Vosges après avoir été éleveur et responsable professionnel. Il existe des débouchés pour des carcasses de 450 kg et plus mais il en existe aussi pour des animaux beaucoup plus légers qui peinent sérieusement à être approvisionnés avec des animaux issus du cheptel allaitant français. « Quand je vois le nombre de restaurants qui proposent de l’Angus — forcément importé — mais pour lequel nous n’avons pas véritablement l’équivalent à proposer, cela me fait mal. Attention, la demande évolue rapidement. Il faut adapter notre offre. Dans les restaurants plus personne ne veut d’entrecôtes ou de faux filets qui peinent à entrer dans les assiettes. Mais c’est aussi à l’aval de nous dire quel est le volume d’animaux nécessaires pour répondre à ces marchés », soulignait l’ancien président de la chambre d’agriculture des Vosges. Et ce dernier d’expliquer en reprenant sa casquette de conseiller régional. « La région va accompagner ce projet sur une durée de cinq ans. La pose d’embryon dans des exploitations adhérentes de Bovinext pourra bénéficier d’une aide de 100 €/embryon posé au cours des cinq années à venir. »
La Stabiliser, quesaco ?
La Stabiliser est une race composite issue de croisements entre l’Angus, la Simmental, la Hereford et la Gelbvieh. Ce sont des animaux toujours génétiquement sans cornes, sélectionnés pour leur précocité sexuelle et leur docilité. Leur robe est rouge ou noire, avec des vaches adultes qui ne dépassent guère les 650 kg vif avec un objectif de vêlage à deux ans systématique. Comme c’est classiquement pratiqué dans les pays anglo-saxons, les créateurs de la Stabiliser se réservent la possibilité d’utiliser s’ils le jugent nécessaire des reproducteurs des races fondatrices pour améliorer au fil des besoins certaines aptitudes. La part croissante du sang Angus est à ce propos évidente. Elle est confirmée par la proportion de plus en plus importante d’animaux à la robe noire. Quinze des dix-sept génisses importées par Bovinext sont noires ! Côté poids carcasse, en Grande-Bretagne les taurillons Stabiliser sont classiquement abattus autour de quatorze mois pour des poids carcasse objectif de 350 kg. Avec des bouvillons, l’objectif est 330 kg à seize mois pour des animaux finis à l’auge ou à vingt mois s’ils sont finis à l’herbe pour des carcasses très majoritairement classées R.